Addiction, dépression, harcèlement… Pas une semaine sans qu’une nouvelle étude ne rende les réseaux sociaux responsables de tous les maux. Dans les médias, le sujet a quasiment remplacé les discours alarmistes sur la dépendance aux jeux vidéo. Mais que nous disent exactement les recherches les plus récentes? Le tableau est-il aussi sombre?
Je suis tombée il y a quelques jours sur deux études portant sur le bonheur et l’usage des réseaux sociaux. L’une traite des réseaux sociaux dans leur ensemble et notamment de Facebook, avec ses 970 millions d’utilisateurs. L’autre analyse les émotions ressenties sur le réseau social qui enregistre actuellement la plus forte progression: Snapchat, 100 millions d’utilisateurs au compteur.
Snapchat: les chiffres de 2016
Snapchat devient incontournable
Gare à l’overdose
Attention, l’abus de réseaux sociaux est mauvais pour la santé! Voici en résumé ce que clame l’ensemble des études médicales parues ces dernières années sur le sujet. Pas plus tard que la semaine dernière, une enquête financée par l’Institut national de la santé américain a à nouveau tiré la sonnette d’alarme. Si je vous dis que l’étude en question est parue dans la revue médicale «Depression and Anxiety Journal», vous en devinerez aisément ses conclusions.
L’abstract de l’enquête sur le site de la revue
Que nous dit concrètement cette recherche, menée sur près de 2000 Américains âgés entre 19 et 32 ans?
- Plus une personne passe de temps sur les réseaux sociaux (tous confondus), plus elle a de chances de souffrir de dépression
- L’exposition prolongée aux vies idéalisées de ses pairs conduit à des sentiments d’envie et à la croyance que ces derniers mènent une vie plus heureuse et plus réussie que la sienne
- Consacrer beaucoup de temps aux réseaux sociaux expose à un plus haut risque de harcèlement numérique et peut donc aggraver des états dépressifs
«Les réseaux sociaux en tant que tels ne provoquent pas de dépression»
Au final, le constat est toujours le même: l’usage abusif des réseaux sociaux est un symptôme de la dépression. Les réseaux sociaux en tant que tels ne provoquent pas de dépression. Le temps élevé qu’un jeune adulte y consacre chaque semaine aidera par contre un médecin à poser un diagnostic de dépression. C’est d’ailleurs l’un des espoirs d’application concrète de l’étude, comme le souligne le magazine Forbes. Ici encore, je perçois un parallèle entre les conclusions de cette étude avec les discours de prévention contre l’usage abusif des jeux vidéo.
Une vidéo pour mieux comprendre la corrélation entre dépression, addiction et réseaux sociaux:
Snapchat, imparfaits et heureux
Ici intervient une autre étude tout à fait surprenante. Je rêverais qu’elle soit répliquée ailleurs pour en confirmer les résultats.
L’Université du Michigan se targue d’être la première à avoir mesuré l’humeur quotidienne des usagers de Snapchat. Pour rappel, sur ce réseau social, les photos et vidéos (entre trois et dix secondes) disparaissent dès leur visionnage. Seules les «stories», sous la forme de petits montages photos et vidéo, ont une durée de 24 heures.
L’enquête a mesuré six fois par jours et durant deux semaines l’humeur de 154 étudiants. Ces derniers recevaient cinq questions sur leurs dernières interactions sociales en ligne. Ils devaient y répondre immédiatement.
«Paraître sous son meilleur jour n’est pas important»
Résultat?
Les interactions sur Snapchat ont été associées avec des émotions plus positives que celles vécues sur tous les autres réseaux sociaux. Elles ont toutefois été évaluées comme moins encourageantes (supportive) que les autres.
Les raisons évoquées pour ces émotions gratifiantes sont très simples:
- Paraître sous son meilleur jour n’est pas important sur Snapchat
- On y partage des petits moments du quotidien et non pas uniquement les grands moments de sa vie (naissances, diplômes, anniversaires)
- Les sondés disent avoir consacré plus d’attention à ces posts qu’à ceux des autres réseaux sociaux
- Les interactions ressemblaient à une rencontre en face-à-face
- Les interactions ont eu lieu avec des proches
En résumé, ni interminable fil d’actualités, ni comparaison, ni jalousie sur Snapchat. Oubliée, la vieille photo sortie des archives qui nous rappelle que nous sommes «amis» depuis dix ans avec Tartempion. Oubliée, aussi, la culpabilité d’avoir bloqué la tante qui nous demandait régulièrement d’être son amie…
Snapchat vs. Facebook en dix points
Les deux faces opposées d’une même pièce
A la lumière de ce qui précède, les différences entre Facebook et Snapchat sautent aux yeux. L’un archive, compile, illustre et nous sert d’étendard. L’autre est l’incarnation même de la perte de mémoire, de la volonté d’en finir avec la course aux «likes», les jolies photos de vacances avec filtres rétros et les statuts de winners.
L’éphémère et la spontanéité se mueraient même en trend, selon une intéressante analyse de Gillian Branstetter, contributrice, entre autres, du Washington Post et de Business Insider. Cette spécialiste des phénomènes de société et de technologies voit en effet un lien entre le succès de Snapchat auprès des adolescents et celui d’applications telles que Periscope, qui permettent de diffuser des images en direct depuis son smartphone. Contrairement à YouTube, ces images ne sont pas destinées à être conservées indéfiniment sur le web. Gillian Branstetter prédit aussi la disparition de l’email en entreprise, au profit d’application de chat comme Slack.
En savoir plus sur Slack
Periscope, torpilleur de télés
«Ces applications nous donnent le droit à l’erreur et à l’expérimentation»
L’avènement d’applications qui abandonnent l’archivage de nos données serait même une très bonne nouvelle, selon l’auteur. Leur caractère éphémère pousse en effet les usagers à être plus créatifs. Au lieu de présenter un compte-rendu officiel et contrôlé de sa vie, un «moi unifié» et idéalisé, à l’instar de ce que nous faisons sur Facebook, ces applications émergentes nous donnent le droit à l’erreur et à l’expérimentation. Avec humour, autodérision et émotion. Elles montrent le côté imparfait de nos vies et permettent de nous construire et de nous réinventer. Au final, elles reflètent donc bien mieux les réelles interactions sociales et sont donc plus gratifiantes. Evidemment, un expert en marketing verra d’un tout autre œil la disparition de nos données… A supposer qu’elles disparaissent réellement.
Why Snapchat makes you happier than Facebook, Gillian Branstetter
Facebook sent d’ailleurs le vent tourner: la rumeur monte sur l’intégration prochaine dans Messenger d’une messagerie instantanée sur le modèle de Snapchat.
Sur la future messagerie instantanée de Facebook
Conclusion philosophique
Non, Facebook et Snapchat ne nous rendent ni plus heureux ni plus malheureux que la vie réelle. La mode des applications misant sur l’éphémère tend toutefois à montrer que la nouvelle génération est à la recherche de plus d’authenticité. Et il y a de quoi s’en réjouir.
Surtout, le succès de Snapchat nous rappelle cinq lois fondamentales:
- Les petits moments du quotidien, imparfaits et a priori insignifiants, sont précieux
- Il vaut mieux accorder toute notre attention à une seule chose à la fois
- Rien ne sert de s’attacher au bonheur (car il peut disparaître en moins de dix secondes)
- Rien ne sert d’envier ce que l’on ne possède pas
- L’entretien de relations proches, si possible avec légèreté et humour, favorise notre bonheur.
En relisant ce qui précède, j’ai l’impression de clore cet article avec des préceptes stoïciens sur le bonheur. Des préceptes prônant le détachement, l’instant présent, l’acceptation et la non-permanence des choses. J’aurais d’ailleurs pu titrer cet article:
«Sénèque aurait choisi Snapchat et non Facebook»
Pas sûr toutefois que j’aurais attiré plus de «likes»… (Désolée, j’ai grandi avec Facebook.)
Et vous? Déprimé face à Facebook? Avez-vous des bonnes pratiques dont vous souhaiteriez me faire part? Et, au fait… quel réseau social aurait choisi Nietzsche?
Merci pour cet article! Et pour répondre, non, je ne me sens pas déprimée (ou en tout cas pas à cause de Facebook hihi). Le tout, c’est de ne pas donner une place prépondérante aux réseaux afin de pouvoir rester « maître » de sa vie. Partager (ou plutôt publier) les moments de sa vie, c’est bien, mais modérément
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Complètement d’accord avec toi Mélyssa! Merci pour ces conseils plein de sagesse. Publier à tout-va n’est en effet jamais un très bon signe 🙂
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Merci, Sandrine pour cette reflexion! Pour moi Snapchat est vraiment une bouffée d’air dans la vie en ligne, on peut être plus spontané et partager de délicieuses petites insignificances de chaque jour. Coté Facebook, je fais partie des personnes qui l’utilisent quasi uniquement pour suivre de news. Il me semble un peu ennuyeux comme réseau ces derniers temps…
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Et les « délicieuses petites insignifiances » dont tu parles seront apparemment plus appréciées par tes proches que n’importe quelle autre photo hyper léchée de tes vacances postée sur FB! J’espère que cet article t’encouragera à continuer 😉
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